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Le cœur apprivoisé (1987-1988)


Monologue



I


Cette violence comme une lèpre implacable qui ronge l’âme et la profondeur de l’âme s’ouvre devant ton regard et me rejette au tréfonds de moi-même. Je ne suivrai plus les jours de la noirceur du lait, je ne boirai plus le calice à tes lèvres, je ne porterai plus l’étendard vers les fous, je ne brûlerai plus les tentes des nomades et la nef des incrédules. Je ne tenterai plus de m’immiscer entre les fils de la toile, entre le ciel et l’horizon où se noie le ciel. Je ne tarirai plus la source de tes pleurs. Je ne consommerai plus le fiel ni la coupe d’amertume.
Et si j’implore miséricorde, que ce soit l’œil terne et la gangue sur la langue, le soupçon au fond de l’âme et l’innocence au creux du cœur, le doute accroché à l’esprit et l’interrogation comme une seconde peau.
Viendra un jour, peut-être, où je pourrai vibrer aux harmonies et aux brisements, loin des violents et des doux, quelque part en humanité…



II


La vérité est morte, nue, dépouillée de sa rudesse et de sa pauvreté, de ses parements et de sa rigueur. La vérité est morte avant d’être jamais devenue adulte. Le remugle pourrissant accompagne toujours les faiseurs de mensonge et les illusionnistes du prêt-à-penser : l’odeur forte et persistante des charognards sur les victimes coupables d’illusion.
Les rues font l’histoire, les hommes la défont, la foule avance et recule au rythme des vrais mensonges et des fausses vérités, les murs bouchent les rues et les barricades remplacent les murs, les révoltes succèdent aux plébiscites, les bourreaux aux bourreaux, les publicitaires aux communicateurs, les fous aux sérieux, et les vaches continuent à regarder passer les trains qui vomissent leurs indésirables par les fenêtres. L’automne aura toujours un relent de patriarche et d’humidité.
La vérité est morte d’avoir trop su se regarder sans regarder le mensonge. Le bien vaudra toujours mieux que le mal. Un fou sera là pour le dire, un sérieux pour le vivre, un mort pour l’affirmer. Les rues font l’histoire, les bottes et les matraques, les printemps et les grands soirs, les matins qui n’en finissent pas de s’inachever dans la mélancolie et les nuits qui se noient jusqu’à l’abus dans le souvenir.
La vérité est morte, et je l’attends encore, dans ma désespérance, comme une fragrance d’immortalité, un véritable instant d’éternité. Les yeux auront peut-être cette lueur qui donne envie de vivre.



III


La vérité est une douleur, une gangrène qui ronge l’esprit et se l’approprie. L’esprit est une atrophie de vérité, une douleur d’aimer, une amertume d’ivresse. Ivre comme le seul bateau qui ne fut jamais autrement.



IV


J’erre dans les méandres de l’inconscience. La vérité et le mensonge s’y ressemblent comme s’ils n’étaient qu’un, comme pour un mariage de déraison du plus fort. Le vrai et le faux se confondent, me confondent, le vrai est faux, le faux se pare de vérité, la vérité est faussée, faussée de vrai fausseté. Confusion. Lapsus.
Cruauté. La vérité est tronquée, le mensonge est roi, monarque de l’absurde, monarchie de l’envie et du jugement. La vérité est masquée, pervertie. Ceux qui m’entourent se plaisent dans ce labyrinthe fou, et j’erre au milieu de leurs rires, de leurs sarcasmes permanents, j’erre sous les projecteurs, sur les bruits et les médisances. Tout bourdonne autour de moi – est-ce bien moi ? – j’entends des échos, des bruits de brume, un brouillard de sons vaguement indistincts. Bruissement de vapeurs sonores qui m’enveloppent – j’erre – qui me pénètrent, me saisissent, m’empêchent de voir, de voir la vérité et le mensonge, m’entourent et me serrent – j’erre – comme une atmosphère désoxygénée.
Lucidité. Les idées tournoient autour de mes pensées, s’y mêlent, les bousculent et me troublent. Je chute dans d’autres méandres.