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L’ourlet d’errance (1989-1990)


Le requiem inassouvi



I


De l’argile pétrie naît le masque qui
couvre le mur ou la tête des morts
comme une aura sans autre devenir
que l’éternelle fixité étonnée,
tente de retenir l’expression de ton visage
en fixant l’image du mien
parce que mon audace ne saurait aller plus loin
que les limites de ma peau et de ton expression,
rend à la glaise la forme dont elle était privée
et à la main de l’artiste la tendresse et l’irritation.
Et l’argile tirée du sol laisse à sa place
un peu de ma mémoire et un peu de mon orgueil,
quelques grains du veau d’or.



II


Toi qui déroules ton ourlet d’errance
jusqu’au bout de ta nuit,
oseras-tu écouter celui qui prêche
jusqu’au bout de la sienne,
craindras-tu de vibrer aux aubes
lointaines et aux rivages intérieurs ?
Ton jardin est une vaste prairie
où poussent les rocs et les fleurs marines
où les enfants lancent des pierres à la lune
pour décrocher un caniveau rempli de leurs tristesses
La chaise reste vide à côté de la tombe,
la faiblesse, à côté de tes sarcasmes.



III


Le masque attend, parmi les débris des rêves inaccomplis
et les fleurs qui ont poussé dans les orbites de tes yeux ;
il attend qu’une main courageuse l’arrache avec un cri de douleur
pour voir en face la mort qui se cache derrière l’insolence figée
et le jette parmi les immondices et les débris de la réalité tristement accomplie.
Mon visage ressent comme une déchirure
devant le masque qui brise les rêves.
Une voix crie, et murmure pour le doux ruissellement des eaux,
et le soleil est terne, obscurci par la buée devant les yeux,
les yeux qui n’en peuvent plus de s’inassouvir dans la volupté et dans la tombe.
Le mur se craquelle : une force vive le pousse à se rompre.
Aujourd’hui, la mort a encore raté son rendez-vous.
Pourquoi n’écoute-t-elle jamais l’horloger qui lui offre une montre à quartz ?
Le trottoir s’abandonne à la mélancolie.
Il a décidément perdu ses bonnes manières.



IV


J’écouterais le chant des sirènes,
s’il ne résonnait pas comme l’écho des hordes meurtrières.
J’observerais la surface des mers,
si elle ne cachait pas les perditions diverses qui l’ont comblée.
Je fermerais les yeux pour m’éblouir,
si je ne craignais pas l’ultime coup qui meurt.
J’ouvrirais mes mains pour recevoir et donner,
si l’âme pouvait encore receler quelque grâce.
Je pétrirais de mes doigts la glaise qui m’attend
pour en faire jaillir le visage de la douleur
qui nous affranchira.



V


La mort nous surprendra, un jour où l’on n’y prendra garde,
et les merles rieurs viendront chanter dans le ciel
leurs sarcasmes académiques.
La terre entière attendra que passe notre instant
mais il ne passera pas car il sera pour nous
notre dernière attache à cette terre ingrate
notre dernière blessure ouverte à tout jamais
jusqu’au plus profond de notre être, jusqu’au jardin intérieur
peuplé d’une ville plus immense encore que la terre
ne saurait l’imaginer, et que la mort ne pourrait la combler ;
la lune n’aura plus rendez-vous avec le soleil de mon jardin.



VI


Tous les hommes retournent un jour à la glaise,
et il faut pourtant jouir d’un peu de vie.
Quand tombe le masque, sur une dernière musique d’accordéon,
la marche se referme et les feux disparaissent, inébranlables,
le regard terne s’apprivoise dans l’ultime espoir d’enfin vivre avant de s’éteindre.
L’hallali sonne comme le glas, comme la marche funèbre et l’allegro tragique,
affaibli par la masse des auditeurs qui capturent le son
et le figent en un râle de mort, vertigineux,
l’étreinte qui n’en finira plus de rassasier nos jours…



VII


La mort nous surprendra, un jour, taillant notre masque mortuaire
et nous n’aurons que le temps de le consumer, comme dernier sursaut,
pour apprendre de lui comment vivre la mort
inexorablement



VIII


Ton corps m’a rencontré, au bord de la tourmente,
et nous nous sommes heurtés, comme dans un rêve
au milieu des sarcasmes qui flottaient par dessus l’absence ;
Nous nous sommes fondus ensemble, en un seul être, dans les airs,
et nous avons vibré ;
Mais il a fallu se rompre et disparaître, informité grotesque,
au sein de notre absence, traqués comme une meute à l’affût.
L’absence a recouvert notre vide,
nous ne quitterons plus nos masques funéraires
et la veillée lugubre à l’air de curée durera
comme les saisons au désert, brisant un requiem
pour un râle funeste, torride,
qui finira uni à cette glaise…



IX


Dans la luxure et la résignation,
nos êtres se dispersent jusqu’aux limites de nos chaînes,
jusqu’à la vibration qui nous rejette pêle-mêle,
en masse informe et impavide, triste à trembler ;
mais ils se cognent au mur et lui redemandent
son choc, sa brûlure.
Un jour les chaînes prendront des ailes
et nous volerons dans les airs, plus que jamais
liés par nos jougs, dépendants du bon vouloir du vent et des chaînes.
Dans la volupté et la contemplation,
la bête et l’ange se retrouvent
pour faire couler encor
la larme finale du requiem…



X


Comme l’image, le requiem.
La dernière pose, rigide aux temps innombrables,
ou que l’on brise comme les ossements,
une dernière pose, et puis s’en va,
l’image qui m’a saisi par surprise – traîtrise ? –
et me fige dans la mort, comme le dernier chant.

Comme le requiem, l’image.
Le dernier passage, brusque et inattendu
la tristesse qui libère l’écureuil et la lune,
et la nostalgie, éphémère et vivace comme l’image ;
Les traces du poète sont les preuves de la dérision.
Mais on peut toujours nier l’épreuve, et le poète, et les traces,
pour engendrer l’anonymat et la torture.

Comme la pluie, les larmes.
Rouges comme le sel, et la vapeur humaine.
Comme les larmes, la pluie de sel et de sable qui stérilise sans discrimination.
Il y aura toujours un temps pour écouter le requiem
et la nuit pleine de ravages qui s’ouvre



XI


La nuit s’écoule entre mes doigts.
J’erre dans la ville apprivoisée, à la lueur des réverbères
et des funambules, et des dispersions de nos âmes.
Il y a dans nos jours une odeur morte des roses
écrasées, la lascive brume qui frémit
s’abîme dans le caniveau..
Mes doigts s’écoulent entre la nuit.



XII


Je reviendrai un jour, subir la défaite unanime.
Les mouettes rieuses auront cessé de rire sous leur plumage de braise,
et les passants chercheront à passer encore.
Il y aura une accalmie dans la brisure du jour,
un peu de solitude pour la foule agenouillée, un peu
de tendresse dans nos caresses apeurées et timides.
La révolte des révoltés portera les germes de l’occupation,
la soumission, ceux de la souffrance et de la délation.
La tache rouge précédera l’affiche, cette fois-ci.
Le sable, la misère et l’ennui :
le vrai programme électoral, unanime et pervers,
nouvelle défaite et puis



XIII